Emmanuel Carrere
« N’être plus regardé par toi, c’est la laideur, la mort. »
Ce Roman russe était dans ma liste-à-lire depuis bien longtemps. C’est du Emmanuel Carrère, argument suffisant en lui-même. Mais c’est l’actualité de ces dernières semaines qui a enclenché le mouvement.
Comme dans Yoga ou Le Royaume, il s’agit ici d’une nouvelle incursion dans la tête et le coeur de l’auteur-journaliste-réalisateur. Tout se construit en parallèle : Carrère veut creuser ses racines russes et Emmanuel vit une histoire d’amour. Carrère se heurte à la négation de la souffrance de sa mère, le drame familial, le secret qui entoure son grand-père paternel. Il va en Russie, souvent, longtemps. Il se replonge dans ce qu’il connaît et part à la découverte de ce qu’il ignore. Fouille sa mémoire et la vie de pauvres bougres d’un petit bled perdu au milieu de la grande Russie.
Lorsqu’il n’est pas dans l’ex-URSS, il vit le bonheur d’un amour naissant avec Sophie. La rencontre. La séduction. L’amour. La sexualité (beaucoup de sexualité). La confrontation aussi. Entre son monde à lui et sa réalité à elle. L’obligation de se rendre compte qu’il est un privilégié, presque un enfant capricieux de 43 ans. Sophie le secoue, le perturbe, l’oblige, le fait souffrir mais il lui rend coup pour coup, si ce n’est plus.
« Pas besoin de sauter par la fenêtre pour mourir, d’autres comme toi meurent très bien vivants ».
Force est de constater que si je ne connaissais ni n’aimais tant l’auteur, j’aurais pu dire que pffff c’était chiant et laborieux. Très auto-centré, très sexuel, très colérique et exigeant. Rigoriste, dirigiste. Et pas très russe, finalement. Du moins pas tant que je pensais, espérais, imaginais.
Mais.
Il se trouve que non seulement j’ai lu beaucoup de Carrère avant celui-ci, mais en plus je manque complètement d’objectivité en ce qui le concerne. Ou alors suis-je, comment dire, beaucoup plus coulante avec lui parce que que ce soit dans Yoga, où il confesse sa maladie, ou dans d’autres comme La Moustache, D'autres vies que la mienne ou L’adversaire, ses écrits sont transparents et honnêtes quant à ses défauts, ses failles. Il est capable, je trouve, d’une très grande capacité d’analyse et d’une maîtrise parfaite de son sujet : lui-même.
D’aucun dirait que c’est du nombrilisme. A ceux-là, je réponds que c’est aussi pour ça qu’on lit du Carrère et - si l’on y revient - qu’on cherche. Lire cet auteur c’est s’y intéresser profondément, sérieusement. C’est accepter ses défauts et apprécier ses qualités. C’est trouver entre les lignes de ce récit de 2004 les signes de la pathologie diagnostiquée 10-15 ans plus tard.
Un roman russe n’est certes pas à la hauteur du Royaume ou de Yoga, mais il complète, il apporte une pièce en plus à la relation avec l’auteur que le lecteur peut vouloir créer. Ce n’est pas un élément clé, indispensable, mais c’est tout de même un bonus, une sorte de spin-off dont on comprend la qualité et l’intérêt une fois qu’on l’a fini, analysé et mis en lien avec les autres. Parce que Carrère au final, c’est ça : des liés et des déliés, des liens, des fils qu’il nous incombe à nous, lecteurs, de relier les uns aux autres…
« … ce que l’on croit posséder, on le néglige, on attend de l’avoir perdu pour le pleurer… »
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