Laurent Binet
« ce ne sont pas tant les hommes qui content leurs goûts que la politique qui change les hommes. »
Florence, 1557. L’année commence dramatiquement : le grand Pontormo, en charge de la fresque de la basilique San Lorenzo, est retrouvé mort au pied de son œuvre. Un coup de marteau à la tête et un ciseau enfoncé dans le cœur. Il est absolument indispensable de retrouver l’auteur du crime, ainsi qu’une toile, réalisée par le peintre, et représentant la fille du Duc de Florence en Vénus à l’enfant, nue comme un ver.
Dans cette période troublée de l’inquisition, il n’est pas acceptable que la princesse soit vue en tenue d’Eve, même représentée sur une toile de grand maître.
Débute alors une enquête dans tout ce que l’Italie en générale et Florence en particulier comptent d’artistes et de puissants. Michel-Ange lui-même est sollicité pour mener les investigations, à distance, tandis que Vasari et Borghini battent le pavé. Les lettres s’échangent entre de nombreux protagonistes, y compris la Reine de France, Catherine de Médicis, qui souhaite profiter du grabuge causé par la mort de l’artiste et la perte du tableau pour faire tomber le Duc de Florence.
De lettre en lettre, on en apprend toujours plus sur les plans Machiavéliques (c’est le cas de le dire dans ce contexte de Renaissance Italienne) des uns et des autres : pour se faire bien voir du pouvoir, pour vivre ses amours librement, pour exprimer son art ou pour répandre les principes de l’inquisition et du Pape Paul IV, particulièrement conservateur qui honnit tout ce qui peut pervertir l’âme, en premier lieu les représentation picturales de nus, qui condamnent les âmes à la damnation…
« le style n’est rien sans l’esprit, ou plutôt le style et l’esprit sont une seule et même chose.»
Après “HhHH” et “La Septième fonction du langage”, lus à leurs sorties, je retrouve avec plaisir Laurent Binet et sa plume dans cette enquête au cœur du monde des arts du XVIème siècle. L’auteur nous dit en préface qu’il n’a fait que traduire des lettres trouvées dans une échoppe de Toscane. Force est de constater qu’il est difficile de croire en cette version, un peu trop merveilleuse : tant de lettres, de tant de personnes différentes, regroupées en un seul tas pour nous éclairer sur l’enquête portant sur le meurtre d’un peintre ?
Avec sa verve et sa connaissance historique reconnaissable, Laurent Binet nous entraîne dans les rues et les intrigues de Florence et de cette période ombragée par toutes les querelles de territoires et de royaumes, sans parler de religion bien sûr. Nous plongeons dans ces lettres comme dans un autre temps, une autre dimension : il s’agit d’un crime commis contre un homme mais également contre l’Art dans son ensemble. Quand on s’intéresse un peu à la question, on ne peut ignorer que la Renaissance est une grande période et que l’Italie en est l’un des berceaux, pour ne pas dire LE berceau.
On apprend dans ses missives que le temps n’a pas la même valeur alors qu’il a aujourd’hui, qu’il faut des jours pour que des informations passent et que malgré tout, elles arrivent, permettant ainsi que les évènements se déroulent et que l’enquête soit résolue. En mobilisant Michel-Ange à Rome et Catherine de Médicis à Paris, Binet nous fait oublier les lenteurs du temps jadis et implique des lieux et des personnes qui semblent pourtant si éloignés les uns des autres. Il en résulte une intrigue à couper le souffle et une folle envie de retourner voir les chefs-d’oeuvre des grands maîtres : que ce soit la Chapelle Sixtine ou la Basilique San Lorenzo de Florence.
Un excellent roman qui se vit, se déguste et se dévoile comme une œuvre d’art.
« Le temps ne rendra justice à personne. Les hommes de demain ne vaudront pas mieux que ceux d’aujourd'hui. Tout sera détruit. »
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