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Peau de Sang

Audrée Wilhelmy



« les filles de ce village se cachent pour grandir. »

C’est un petit village, qui pourrait se situer n’importe où. À quelle époque ? Pas plus d’indices si ce n’est que tout se passe à l’époque des corsages, des trousseaux de mariage, des “situations”… dans ce village donc, chaque femme tente sa vie, chaque femme fait ce qu’on attend d’elle, discrètement, vue de dehors, avec plus de tempérament à l’intérieur des foyers.

Il y en a une qui n’est pas une épouse, qui ne se cache pas, qui attise la convoitise, la jalousie, l’admiration même. La journée, elle tue ses oies, les plume, s’occupe aussi du petit gibier que lui rapportent les chasseurs et son amant, le Sulfureur.

Mais lorsque la journée de travail se termine dans la basse ville de Kangoq, cette femme prend son bain, sans fermer ses rideaux, et offre aux yeux des hommes la vision de son corps. À ceux qui peuvent payer, en argent ou en nature, elle vend ses charmes et ses services, ainsi qu’une écoute sans jugement, une acceptation pleine et entière. Aux jeunes filles à marier, elle enseigne ce qu’un mari attend de sa femme, ce qu’une épouse peut demander à son époux. Aux femmes mariées et frustrées, elle donne également ces conseils qui leur permettront de garder leurs hommes tout en s’épanouissant. Mais cela fait beaucoup de pouvoir pour une seule personne, de petite naissance qui plus est. Qui se refuse au médecin. Qui connaît les vices du notaire. Et qui sait, finalement, tout ce que les autres tentent de cacher. Qui en sait trop.


« dans la vie de mes amants, je suis l'autre chapitre, le texte plus court, celui de l'interdit, des possibles avalés par les mots de tous les jours… »

Je me demandais comment j’allais réussir à rendre compte de ce roman à la construction si particulière qu’on n’est pas sûr, à la lecture, de comprendre. Qui dit quoi, quand, pourquoi et à qui ? Ce chœur qui nous ouvre les portes du village en général et de la plumerie en particulier, ce chœur donc nous perd tant il est composé de voix que l’on ne distingue pas. Qui est « Je »? Quel est « tu »? Et puis arrive le moment où tout cela n’a plus d’importance. Ce qui compte, c’est cette femme qui a le meilleur et le pire de la bourgade à gérer : l’envie des hommes, la jalousie des femmes. Le dégoût des hommes, l’admiration des femmes. Ces dichotomies dans les comportements et les émotions des habitants se ressentent dans les raideurs des saisons, dans les caprices du temps et de l'environnement, jusqu’au pont qui refuse d’être reconstruit. Tout ici a une âme, entendue et comprise par la plumeuse.

Cette femme ne corrompt pas, elle enseigne. Elle protège. Autant les personnes que leurs secrets. Elle ressent aussi, mais de cela, personne ne semble vraiment s’inquiéter. C’est une lecture difficile qui mérite de s’y plonger pleinement, sans distraction ou interruption. C’est une lecture qui mérite - je pense - qu’on y revienne, après coup, après quelque temps, parce que je suis sûre que la poésie de ce roman a beaucoup plus à offrir que ce que j’y ai perçu. Comme beaucoup de publications du Tripode, c’est une lecture qui se mérite, avec laquelle on se bat mais que l’on porte dans son cœur et dans son corps tant elle donne à réfléchir. 


« je connais les secrets de tout le monde (….), et parfois, des secrets qui ne sont pas encore formulés, des secrets en devenir »

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