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Mater Dolorosa

Jurica Pavičić



« Les fils sont toujours un supplice pour les mères. »

C’est la fin de l’été à Split. Les touristes commencent à quitter la ville qui remballe ses habits de lumière pour entrer dans l’hiver. Dans une usine désaffectée, un corps est retrouvé. C’est celui d’une lycéenne de 17 ans, brillante, belle, fille d’un médecin réputé. Près d’elle, la bretelle d’un sac à dos et un haut de survêtement. Personne n’a rien vu ni rien entendu, si ce n’est un vieux voisin qui a discerné un véhicule, un Touran très clair, peut-être blanc. C’est peu mais c'est un début pour Zvone et ses collègues de la police qui mènent l’enquête. 

Dans un immeuble de la périphérie, vit une famille de trois personnes : Katja, la fille Ines et le fils Mario. Inès travaille dans un grand hôtel dans le centre, sa mère fait des ménages, le jeune adulte, lui, ne fait rien. Un matin, Katja trouve un sac à dos déchiré et un bas de survêtement tâché dans la chambre de son gamin. Elle prend le tout, le lave, le cache. Mais pas assez discrètement car Ines la surprend et comprend immédiatement ce que cela veut dire : la mort de la jeune Viktorija est partout dans les journaux, impossible de passer à côté. 

Zvone, Katja et Ines tournent et tournent, l’un dans son enquête, l’une dans sa religion et la troisième dans sa conscience. Ils sont chacun dans un manège de réflexion, de doutes et de certitudes, qui parfois se croisent et se chevauchent. Parce qu’il y a une chose dont tous les trois sont sûrs, et cela concerne Mario. Et aucun ne peut ou ne veut dévoiler cette affreuse vérité. D’autant plus que Split n’est pas une grande ville et que d’autres éclaboussures viennent salir la famille des deux femmes, condamnant ainsi la fille aux yeux de sa mère, lui enlevant le peu de respect et d’estime qu’elle a pourtant mérité, elle qui travaille, ramène un salaire à l’appartement et a sacrifié ses rêves depuis la mort prématuré du père. Mais malgré tout, la jeune femme reste loyale envers sa famille, même si cela la pousse à se trahir elle-même.


« le monde entier va tourner dans l’indifférence et la routine, et il compte bien continuer à tourner comme ça malgré tes protestations. »

C’est le second roman de l’auteur croate que je lis, et j’en tire toujours autant de plaisir. Au-delà de l’enquête sur le terrible crime dont a été victime Viktorija, c’est le portrait social qui est le véritable sujet du roman et qui passionne. On connaît peu la Croatie et Split, on ignore beaucoup de son passé, de ses blessures, de sa construction. Et Pavičić nous livre tout cela en une intrigue haletante autour de la valeur fondamentale de ce pays : la famille. On ne doute jamais de l’identité du coupable, même si Zvone est attiré sur une autre piste. Mais ce n’est pas tellement le plus important : ce qui compte, c’est ce que les personnages sont prêts à faire pour défendre ceux qu’ils aiment (ou croient aimer). 

L'alternance entre les trois points de vue nous permet d'avoir un aperçu global de la situation : le flic sans charisme qui poursuit une intuition tout en s’occupant de son père, vétéran de guerre et prématurément vieux. La veuve qui se voue à son fils, tente d’oublier qu’elle est mal-aimée par ses beaux-parents et va chercher un peu de réconfort dans une église de quartier où, même là, elle n’est pas accueillie comme elle l’espérait. Et enfin la jeune femme de 26 ans qui souffre de voir sa mère malmenée par la vie, la nonchalance sans borne de son frère et la trahison de son amant. 

Et Mario. Mario qui, comme beaucoup de jeunes garçons de son âge, s’en fout. Ne dit rien. Fait comme si de rien n’était,  se faisant servir par sa mère, utilisant l’argent de sa sœur, se laissant porter par ces deux femmes qui lui sont dévouées. Mario a qui tout est dû, c’est après tout comme ça qu’on l’a élevé. 

Pavičić nous offre une nouvelle fois un roman noir, non pas tant dans sa violence criminelle mais dans la description qu’il nous donne de ce pays meurtri, aux vieilles coutumes qui résistent ou subissent la modernité et, d’une certaine manière, à la justice. Un roman à lire pour voyager et pour apprendre, comprendre ce peuple familial - parfois  malgré lui.


« Le sang, ce n'est pas de l'eau. C'est ce qu'on dit. (…) ce sang, c'est quelque chose de toxique. Quelque chose qui corrompt et empoisonne.»

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