Cette année encore, la mi-août a marqué le départ de la rentrée littéraire et le festival de sorties. Mais de l’autre côté de la bibliothèque, on ne vit pas l’évènement de la même façon…
Depuis que je travaille en bibliothèque, une de mes missions principales est de me tenir au courant de ce qui va arriver, de ce qui est attendu, des auteurs qui sortent leur nouveau trésor ou de ceux qui font leurs débuts sur la scène littéraire. Il me faut aussi m’intéresser aux actualités des maisons d’éditions un peu moins connues, qui n’ont pas pignon sur rue et ne peuvent faire de matraquage publicitaire comme Albin Michel ou Gallimard.
Soyons honnêtes, on ne peut pas dire que cette activité soit désagréable. Quand on pense à tous les nouveaux moyens de communications et de tout ce qui est mis à disposition, je crois que je pourrais passer mes journées à enquêter, chiner, veiller à l'actualité littéraire.
Le vieux libraire m’avait toujours répété que les livres avaient une âme, l’âme de celui qui les avait écrits et de ceux qui les avaient lus et avaient rêvé avec eux. » Carlos Ruiz Zafon
En tant que professionnelle, je reçois sur mon lieu de travail tous les numéros du magazine Page des Libraires. C’est un support dédié aux spécialistes. Et ce qui ne gâche rien, c’est que les chroniques et articles sur les différents ouvrages sont rédigés par des libraires. Bien évidemment, cela entraîne une sorte de parti pris et peut-être un manque d’objectivité en fonction des goûts des uns et des autres mais je pense surtout que cela dénote une réelle envie d’avoir des avis de personnes directement concernées. En effet, qui mieux qu’un primeur pour vous faire l’article d’une pomme ? Est-ce qu’un vendeur de Darty saurait être aussi convaincant qu’un marchand de chaussures ?
Bref, je dévore avidement chaque publication (papier et numérique) de Page et je m’en sers, entre autres supports, pour préparer mes commandes et décider de ce qui sera ou non référencé dans les rayons.
« Le libraire est l'ami du livre; pas de tous les livres, mais de ceux qu'il considère assez pour les transmettre aux lecteurs.» Tahar Ben Jelloun
En mai, le magazine annonçait une journée dédiée à la rentrée littéraire de cet automne. De 9h00 à 17h00, dans l’enceinte prestigieuse de la Bibliothèque Nationale de France, il s’agissait de parler et d’écouter parler de livres, des nouveautés, des coups de cœur des libraires et de quelques rencontres avec des auteurs, en interview. Un événement auquel j’ai eu le privilège d’être invitée ! Quel bonheur, franchement ! Avoir l’info mais aussi les ressentis, les émotions des lecteurs. Les promesses de beaux voyages, les mots des écrivains, l’enthousiasme de tous ces gens rassemblés autour d’une passion - plus qu’un métier - la littérature.
Je me suis régalée. Vraiment. Et ça a donné à ma pratique un petit coup de fouet. Après tout, pourquoi ne pas, moi aussi, en tant que bibliothécaire, demander à lire les romans en avance ? Qu’est-ce que ça allait me coûter de plus que du temps ? Qu’est-ce que je risquais à demander ? Rien. Alors GO !
Armée de mon catalogue des livres présentés, d’une bonne connexion internet et d’un ordinateur, j’ai entamé mon travail d’approche. Trouver les bons contacts chez les éditeurs, les bons mots pour les convaincre du bien fondé de ma démarche. Alors non, je ne vends pas de livres, effectivement. C’est un pari risqué que de me procurer des épreuves. Mais j’ai quand même une mission de conseil et de recommandations. En communication, on appelle les gens comme moi des prescripteurs : je ne vends pas, mais je fais quand même la promotion.
Accessoirement aussi, j’achète : pour le travail bien sûr, et pour moi aussi. Mon mari dirait d’ailleurs que j’achète presque autant pour moi que pour le boulot…
Je m’égare. Mais le fait est que je me suis rendue compte que même si le travail de recherche de contact prend du temps, ça paie. Les éditeurs sont accessibles, cordiaux et hyper serviables. Tout comme certains auteurs d’ailleurs.
Alors, on ne va pas se mentir, certaines de mes demandes n’ont pas été suivies. Dans le pire des cas, je n’ai pas eu de retour. Mais je n’ai pas eu de refus non plus. Personne ne m’a dit “Non, on t’envoie pas de service de presse !”. Et ça, je dois dire que c’est vraiment appréciable. Ici, spéciale dédicace à l’Iconoclaste et à Gallmeister qui ont eu l’extrême gentillesse de m’envoyer, en plus des SP, des outils de promotion !
J’ai donc reçu, au bout du compte, une petite quarantaine d’épreuves en version papier, et une dizaine en version numérique. Autant dire que j’étais au taquet niveau lecture pour les vacances !
« La nature du roman est l'infini.» Pierre Bourgeade / Warum
C’est à ce moment-là que je me dois d’être parfaitement honnête. Bah oui, j’ai la chance de faire en ce moment un métier en corrélation avec ma passion. Alors forcément, je joins l’utile à l’agréable. Je lis pour conseiller les usagers de la bibliothèque mais aussi ceux qui viennent visiter ma Billyothèque et y chercher de l’inspiration. Chaque lecture faisant l’objet d’un article, d’un retour et d’un travail visuel, je suis forcément partagée entre mes obligations professionnelles et mes intérêts personnels/ réseaux-socialesques.
Le premier service de presse que j’ai lu, dès réception, a été Tibi La Blanche d’Hadrien Bels. La présentation à la journée Page m’avait transportée, littéralement ! J’étais à Dakar, j’attendais les résultats du Bac, le cul posé sur un siège du grand amphi de la BNF. Dans cette salle pourtant fermée, bercée par les mots et l’accent marseillais du jeune auteur, je sentais le stress des résultats et la chaleur du soleil sénégalais. En transe. Du coup, bien évidemment, c’est l’Iconoclaste que j’ai contacté en premier et c’est ce roman de la rentrée littéraire qui a ouvert la saison. En juin. Entre temps, je m’étais jetée sur “Cinq dans tes yeux”, le premier roman de l’auteur et j’avais également vraiment aimé ! J’ai contacté Hadrien, lui ai témoigné tout le bien que j’avais pensé de ses deux romans, je lui ai même envoyé mes retours de lecture et ai été le rencontrer au Salon Saint Maur en Poche. Une vraie groupie.
« … la lecture a toujours été un combat. On lit, on lutte, on fait reculer les lignes ennemies. Elle se sent plus proche des chiffres, au moins eux n'essaient pas de te manipuler. Les mots sont des traîtres. Ils créent désordres et polémiques.» Hadrien Bels
Tout ça pour dire que lorsque j’ai eu fini de lire Tibi, j’ai demandé à son créateur si je pouvais en parler avant la sortie, à titre perso, sur mes réseaux. L’éditeur a dit non. OK, c’est normal me suis-je dit. Le roman n’est pas en librairie, je n’en parle pas avant qu’il soit sur les étals, ça me paraît normal. Et j’ai procédé de la sorte pour tous les SP que j’ai pu lire cet été. Une fois lus, ils ont tous fait l’objet de compte-rendus détaillés mais les articles ont attendu que les romans soient en librairies. Du coup, pour ceux qui me suivent sur les réseaux, vous avez sans doute eu l’impression que j’avais énormément lu en août mais non… juste 12 ce mois-ci (ce qui est déjà pas mal, c'est vrai). Certains jours, entre ceux des semaines précédentes et ceux en cours, j’avais deux retours de lectures dans la même journée. Je me doute que je n’ai pas forcément été facile à suivre (et je m'en excuse…)
Mais - parce qu’il y a forcément un mais - je me pose la question de ma démarche et de sa pertinence. En gros, un éditeur me demande d’attendre. J’ai attendu. Pour ses romans et pour ceux édités dans d’autres maisons. Mais j’ai été déçue, je me suis un poil sentie trahie de constater que d’autres que moi ne faisaient pas la même chose.
Combien de retours ai-je vu sur “Cher Connard” par exemple, avant même sa sortie ? et je ne vous parle pas de libraires ou de professionnels mais de lecteurs comme moi… Soit dit en passant, Grasset n’avait même pas donné suite à ma demande de SP… sans doute ne suis-je pas si importante que ça à leurs yeux. Tant pis, j’ai lu le Despentes lorsqu’il est sorti, je l’ai adoré et j’en ai fait un article élogieux. Je n’écris pas pour les éditeurs, j’écris pour ceux qui me suivent…
Mais quand même.
De ce constat a découlé une autre interrogation, concernant mon positionnement et ma présentation. Si je contacte les éditeurs en tant que bloggeuse, aurai-je plus de succès dans mes requêtes que si je me présente comme je le fais actuellement, en tant que bibliothécaire ? Si je mets en avant mes profils sur les réseaux sociaux, la politique du “Follower” est-elle de mise ?
Je ne cesse de m’interroger : comment font mes copines/ collègues/ co-lecteurs (je ne sais pas trop quel mot utiliser) pour avoir autant de gens qui les suivent ? Comment être plus vue ? Plus lue ?
Je ne cherche pas à être ce qu’on appelle une influenceuse mais tout de même… je m’étonne du peu de gens que j’arrive à fédérer comparativement à d’autres. Les grands garçons de ma maison me disent que des followers, ça s’achète. Mais là encore, mes convictions et mon sens de l’équité (et - il faut l’admettre - mon compte en banque) m’empêchent de céder à cette tricherie (pour moi c’est tricher, désolée).
Je voudrais bien toucher davantage de personnes, donner envie, inspirer et générer des échanges, des lectures, des réflexions. J’aimerais - c’est pêché d’orgueil, je sais - être davantage reconnue pour ce que je fais, ce que j’écris, ce que je dis, mais sans tricher.
« Il ne suffit pas de parler, il suffit de parler juste » William Shakespeare
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