Tess Gunty
« lorsque Blandine Watkins sort de son corps, elle n’est pas tout. Pas vraiment. Elle est seulement le contraire de rien.»
A Vacca Vale, ville imaginaire de l’Indiana, aux États-Unis, le roman débute par la tragique sortie de son corps de Blandine, adolescente de 18 ans, dans l’appartement qu’elle partage avec trois jeunes hommes du même âge qu’elle. On ne sait pas ce qui a provoqué l’acte, on devine sa violence, on a des idées mais on ignore ce qu'il s'est passé exactement. Mais tout le roman vise à ce soir du mercredi 17 juillet, quand Blandine Watkins est sortie d’elle-même.
Beaucoup de personnages gravitent autour de Blandine/ Tiffany. Cette adolescente effacée, intellectuellement brillante, prise en charge par les services sociaux d’aide à l’enfance et enfin sortie du système. Des autres habitants de l’immeuble HLM où elle vit à son ancien professeur de théâtre en passant par une ancienne enfant star devenue une vieille femme mourante et son fils détruit par le narcissisme et l’égoïsme de celle-ci. Beaucoup (trop) de personnes donc qui font Vacca Vale, l'immeuble HLM, le capitalisme et le progrès. Blandine a souffert, on le sent d'abord, on le sait ensuite, et elle cherche à être bienveillante comme ces femmes mystiques du moyen-âge qui la fascinent, en particulier Hildegarde de Bingen, sainte aux idées particulières sur dieu et la raison.
L'auteure se penche également sur les trois colocataires de Blandine, qui ont tous connu leurs lots de souffrance et de difficultés dans la vie qui devrait pourtant, à leur âge, être pleine de promesses.
On est donc dans l'attente de ce soir du 17 juillet, fébriles, à se demander ce qu'il s'est passé de si grave que Blandine est sortie de son corps, dans un appartement miteux d'une ville morte du fin fond de l'Indiana..
« Personne ne peut entrer en vous par effraction si vous sortez d'abord de vous-même par effraction. »
Quelle expérience particulière que la lecture de ce premier roman… C'est, comment dire, très dans l'air du temps. Très américain. L'auteure commence par nous mettre l'eau à la bouche avec l'annonce d'un drame. Et elle tourne, retourne, avance et recule dans la chronologie, dans les faits et les passés, expériences de nombreux personnages pour tout faire converger, finalement sur le fameux incident du 17 juillet. Elle tient en haleine, rappelant toujours le drame, par un décompte, histoire de rappeler au lecteur pourquoi il s'est lancé dans ce roman. Et ce n'est pas du luxe parce qu'effectivement, il y a des moments où on se demande ce qui nous tient accrochés au récit. On se perd, on s'emmêle, on s'ennuie aussi un peu. On a droit à des portraits et des descriptions d'une Amérique délaissée et abîmée tant dans sa politique que dans son approche sociale et sa gestion industrielle. Vacca Vale n'existe pas, mais tant de villes souffrent du même sort : l'hyper-industrialisation suivie du déclin. Les habitants floués, le chômage, le désespoir, et puis la modernité, qui tente une nouvelle percée pour ressusciter ce qui est mort depuis des décennies. Le rêve américain dans tout ce qu'il a de plus abject.
Ce roman est construit sur une promesse et, même si cette dernière est tenue, le chemin pour atteindre l'objectif fixé est très long, tortueux et n'est pas le plus aisé ni le plus logique à suivre. Comme dans True Story de Kate Reed Petty ou L'école de Topeka de Ben Lerner, il y a un potentiel romanesque énorme, gâché par les détours aux relents d'autosatisfaction intellectuelle de l'auteure. 200 ou 300 pages auraient été suffisantes pour traiter correctement l'intrigue et la personnalité de Blandine qui est, en fin de compte, la seule qui compte vraiment. Mais il semble y avoir un effet de mode ces derniers temps, outre-Atlantique, qui consiste à broder encore et encore pour produire du gros roman, à défaut d'écrire de bons romans. Je sais que je suis dure, mais c'est la déception de voir tout ce potentiel gâché par le besoin de produire davantage...
Je retiendrai tout de même de cette lecture la réalité des services d'aide à l'enfance (pas toujours défaillants !), la sagesse d'Hildegarde et le courage de(s) Blandine(s). Le reste, je ne suis pas sûre…
« La liberté, cela n'existait pas (…) mais se sentir bien, cela existait, et c'était important, et c'était réel, et parfois ça vous venait gratuitement. »
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