Claire Favan
« À quel moment a-t-il réclamé du rab de merde dans l'assiette de sa vie ? »
1999. Une jeune femme, à bout de forces, met au monde des jumeaux, dans la rue. Sa condition ne lui permet pas de garder ses bébés et c’est le cœur brisé qu’elle les laisse devant la porte d’une église, dans les Yvelines. Les petits vont être confiés à l’ASE mais ils seront séparés à l’adoption. Dès lors, les destins de l’un et de l’autre vont prendre des directions diamétralement opposées. Alors que Raphaël jouit d’une famille aisée qui lui permet toutes les libertés et tous les excès, Antoine, lui, est balloté de famille d’accueil en foyer, jusqu’à sa majorité, n'échappant à aucune violence. Décidé à réussir ses études de droit malgré toutes les difficultés que cela représente, il surnage pour régler ses factures et assurer en cours, ne bénéficiant plus d’aucune aide.
C’est alors qu’il est au fond du trou et qu’il ne voit plus comment s’en sortir que son jumeau, Raphaël, apparaît dans sa vie. Sûr de lui, suffisant, condescendant, il lui propose un deal : le remplacer à des soirées où il n’a aucune envie de se rendre. 500 € pour chaque “prestation”. Tout se passe plutôt bien, même si Antoine se rend vite compte que Raf est un branleur, égocentrique et manipulateur.
Un jour qu’il est pris à la gorge par ses créanciers, Tony demande de l’aide à son frère. Lui qui a tant d’argent, il pourrait le dépanner ? Tout dérape radicalement à partir de ce moment. L’égoïsme et le narcissisme de Raf lui explosent à la figure et il pète un câble. C'est à partir de ce moment que la vie d’Antoine va prendre une direction inattendue où il va devoir jongler entre ses principes et ceux de ce frère jumeau qui ne pourrait être plus différent de lui. Comment être soi et un autre en même temps ? Comment ne pas se perdre dans tous les mensonges qui s’accumulent et qui risquent de le noyer… Surtout quand la police entre dans la danse !
« Quand les habitants d'un pays détestent ceux qui sont censés les protéger, il faut se demander à quel moment les politiciens ont échoué pour laisser la société se fracturer et se déliter à ce point. »
J’ai vu passer ce roman policier un nombre incalculable de fois mais c’est à la faveur d’un challenge que je me suis enfin décidée à le lire. La première partie est édifiante sur les manquements de l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance) dont les individus sont dépassés par le manque de moyens malgré - parfois ) une réelle envie d'aider les enfants. Les failles légales empêchent de trouver des solutions pérennes pour assurer le nécessaire à ces gamins sur lesquels le sort semble s’acharner. Antoine en est le parfait exemple.
On sent un grand travail de recherche de la part de l’auteure pour dénoncer ce système qui maintient les enfants de l’ASE dans la précarité et la misère. Il y en a, heureusement, qui s’en sortent, c’est aussi une réalité. Mais beaucoup subissent. Quand la mauvaise étoile d’Antoine se trouve confrontée à la bonne fortune de son jumeau, forcément, il y a de l’orage. Sur un regard, la vie (en la personne de Thomas de Perrache) a décidé du destin de deux enfants que rien n’aurait dû séparer.
Il y a dans ce thriller des rebondissements et pas mal de suspense, malgré des attendus. Même si, à dire vrai, je n’ai été surprise à aucun moment par le contenu de l’intrigue policière, j’ai au demeurant été choquée, pour ne pas dire bouleversée par les lacunes de l’ASE, défectuosités qui ont également traitées dans l'excellent diptyque de Colin Niel, "Darwyne" (2022) et "Wallace" (2024), mais également dans le très bon polar de Jérôme Loubry, “De soleil et de Sang” (2020). Malheureux de constater que tout le monde sait, à commencer par les pouvoirs publics, mais que rien n'est fait pour améliorer la situation.
Bref, un polar qui se lit bien, qui ne se lâche pas, qui interroge sur la suite (même si on se doute de ce qu’il s’est passé et de ce qui va arriver et que la fin est assez décevante), et qui dénonce. Comme l’a dit Claire Favan en entretien Vleel, le roman noir a cette possibilité (pour ne pas dire la mission) de baser des enquêtes sur des inégalités ou des aberrations sociétales pour les dénoncer à travers des intrigues policières, et en cela ce roman est une réussite.
« C’est comme si, une fois qu’on a touché le fond tout était fait pour nous maintenir la tête sous l’eau. »
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