Laurent Mauvignier
« c’est comme ça, les hommes aiment le foot, et il n’y a rien à faire contre ça, pour un homme, c’est être malade ou un peu bizarre de ne pas aimer le foot… »
Que s’est-il passé le 29 mai 1985, dans le stade du Heysel à Bruxelles ? C’est la finale de la coupe d’Europe. La Belgique accueille le match qui opposera Liverpool à la Juventus de Turin. La capitale belge reçoit aussi et surtout les supporters de ces deux grands clubs. En a-t-elle la capacité ?
Le roman de Mauvignier commence quelques heures avant la rencontre. On y fait la connaissance de Geoff, Anglais, et de ses eux frères, des durs à cuire. On y rencontre Jeff et Tonino, Français, débarqués sans billets, persuadés qu’ils sont d’en trouver sur place. Et c’est ce qui arrive. Grâce à Gabriel et Virginie, jeune couple Belge avec qui ils vont partager quelques bières et des regards appuyés, se jaugeant, se jugeant, se moquant.
Le jour du match, les jeunes auvergnats feront la connaissance de jeunes mariés Italiens, Tana et Francesco. C’est ensemble qu’ils entreront dans le stade, ensemble qu’ils subiront l’assaut des hooligans, ensemble qu’ils seront vaincus par la haine et la violence de ces ultras qui ne sont pas là pour le sport mais pour la castagne. Pendant que Gabriel aura erré autour du stade, espérant retrouver Tonino, qui a ravi le cœur de sa compagne et bien plus encore. Geoff, quant à lui, se trouvera dépassé par les événements, refusant sa responsabilité, refusant d’ouvrir les yeux sur celle de ses frères qu’il admire mais dont il connaît aussi la violence.
Trois ans plus tard, alors que les procès ont lieu, Geoff, Jeff, Tonio, Tana, Gabriel et les autres ont continué. Comme ils ont pu, ils ont continué, survécu, surmonté, ou pas, cette soirée qui se voulait festive… Le bouquet final étant la mort de 39 personnes au sein même du stade.
« comme si les chants savaient qu'après la mort tout le temps nous est donné de se croire immortels, simplement d'avoir survécu. »
Jusqu’où peut aller la folie quand il s’agit de sport en général et de foot en particulier ? Jusqu’où un individu peut-il assumer sa responsabilité dans des actes d’une rare violence .? Jusqu’où un autre peut-il faire abstraction de sa culpabilité ? Comment une jeune femme peut-elle se relever d’un drame qui la marquera bien plus profondément et plus durablement qu’un tatouage ?
Mauvignier, avec son écriture exigeante, dure, sans répit, nous rappelle non seulement les faits de cette terrible soirée de mai 1985 mais également ses conséquences. C’est nous mettre face au drame, à la douleur, à la solidarité qui en découle malgré les désaccords. C’est aussi des manières différentes de faire le deuil, chacun à sa façon. Comment un événement tel que celui-ci change les gens, au plus profond d’eux-mêmes.
«… La nuit c’est le silence particulier du souffle lent de l’humanité qui dort. »
C’est une lecture qui laisse exsangue. Qui ne nous permet pas de respirer. Qui nous renvoie à la souffrance et à la folie. Qui nous étouffe comme Tana étouffe. Qui nous fait peur comme Geoff a peur. Qui nous met en colère comme Gabriel.
C’est une écriture à ne pas prendre à la légère, un récit qui nous laisse pantois. Tremblant. Dérangé. Mais, pour peu qu’on en soit capable, qui nous fait aussi réfléchir aux suites de telles catastrophes, à l’empathie dont il faut faire preuve envers ceux qui y étaient et qui ont survécu, comme ils ont pu.
Il faut se relever de cette lecture. Il faut aller de l’avant, mais prendre le temps de la digérer pour en saisir toute la beauté.
« Rien d'autre qu'attendre que la nuit vienne me débarrasser du jour et que le jour vienne me débarrasser de la nuit, allez, allez, que ça aille plus vite… »
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